"Oncle, quel âge avez-vous ?
- Je suis vieux, répond Monsieur Linh, très vieux. Je suis né l'année de la tornade qui a dévasté le village.
- Vous ne savez pas votre âge ? demande la jeune fille étonnée.
- Je sais que je suis vieux, c'est tout. Savoir mon âge ne m'avancerait à rien de plus."
La jeune fille parle au médecin qui prend quelques notes. Les questions se poursuivent. La jeune fille les traduit. Est-ce que Monsieur Linh a déjà été opéré ? Au pays, était-il suivi par un médecin ? Prenait-il un traitement particulier ? Souffre-t-il d'hypertension ? de diabète ? A-t-il des problèmes de surdité ? de vue ?
Le vieil homme comprend la moitié des mots que lui dit la jeune fille. Il la regarde étonné.
"Tu ne connais par le pays, finit-il par lui dire. Le seul médecin que j'aie vu, c'était il y a très longtemps, quand l'armée a eu besoin de moi. Sinon au village, nous nous soignons nous-mêmes. Si la maladie est bénigne, nous guérissons. Si elle est maligne, nous mourons. C'est tout."
La petite fille de Monsieur Linh - Philippe Claudel de l'Académie Goncourt - 2005
Pourquoi faudrait-il survivre à la mort lorsqu'il est Temps ?
Pourquoi devrait-on vivre quand tout vous attend de l'autre côté ?
Perdu au milieu d'âmes errantes, un homme tout juste vieux est triste.
Désespérément triste.
Il attend la mort qu'on lui a retiré.
Il l'attend tout simplement, comme on attend le train.
Il aimerait tellement retrouver sa Douce.
Pourquoi l'a-t-on ranimé ?
Pourquoi l'a-t-on ranimé à coup de gifles ?
Pourquoi ne l'a-t-on pas laissé plonger dans l'oubli de cette vie ?
Et retrouver sa Douce partie si vite, si bien...
Il aurait tellement voulu mourir comme elle...avec elle...
Il l'a fait pourtant !
Il est tombé, tout comme elle, et s'est évanoui, tout comme elle !
Et...il a été réanimé, lui...malheureusement !
Impossible de leur échapper et de retrouver sa Douce...
Il git sur un lit d'hôpital, il reçoit des gifles quotidiennes en guise de réveil...
Qu'il aimerait se réveiller dans l'Autre Monde auprès de sa Douce...
L'homme vieillit, plus vite que le temps, désespérément triste.
Il attend la mort comme on attend le train.
Pourvu qu'il passe et que je retrouve bientôt ma Douce...se dit-il inlassablement.
Tandis que le médecin est satisfait : '"il peut vivre !"
Ranimer un homme âgé prêt à mourir, un homme prêt à retrouver son épouse qui vient de le quitter afin d'entrer enfin dans la paix éternelle, libéré des tumultes de la vie sur Terre où plus rien ni personne ne le retient...
Est-ce un acte de bravoure ou un acte d'inconscience face aux mystères de la vie ?
Qui peut décider de son heure ?
Pourquoi l'empêcher de mourir ?
Si nous laissions chacun mourir dignement et préservions nos traditions.
A méditer...